Parce qu'elle est passée ce matin sur France Inter, parce que c'est bientôt son anniversaire et parce qu'on adore son travail et que l'on souhaite lui montrer qu'en ce mois d'octobre on ne l'a toujours pas oubliée...on décide de vous parler de Sophie Calle.
Sophie Calle réalise un travail qui associe création plastique et analyse sociologique. Effectivement, lorsqu'elle crée, Sophie Calle se base toujours sur une sorte d'étude préalable. L'œuvre est, très souvent, un résultat de ce qu'elle aura pu voir, sentir et comprendre d'elle-même et du monde qui l'entoure.
Tout a commencé dans les années 70. En rentrant d'un voyage de sept ans, elle se retrouve seule et s'ennuie. Pour parer à ce problème, elle décide de suivre des inconnus dans la rue, de les observer et de les photographier (l'œuvre s'intitule « Filatures Parisiennes »). Probablement pour mieux se souvenir, elle note les observations qui se rattachent aux images dans de petits carnets.
Ce mode de fonctionnement (alliant œuvre plastique et écrite) est d'ailleurs devenu son procédé artistique car pour tous les projets qu'elle réalise, elle y associe un livre. « Sophie Calle propose des actions artistiques tirées de sa propre vie et joue entre les divisions suivantes: réalité / fiction, public / privé. Sa démarche se rapproche souvent de l’enquêteur, du détective. »
L'une des œuvres que nous apprécions le plus est « Prenez soin de vous ».
Ce projet est parti d'un mail que l'artiste a reçu. C'était un mail de rupture :
« Sophie,
Cela fait un moment que je veux vous écrire et répondre à votre dernier mail. En même temps, il me semblait préférable de vous parler et de dire ce que j’ai à vous dire de vive voix. Mais du moins cela sera-t-il écrit.
Comme vous l’avez vu, j’allais mal tous ces derniers temps. Comme si je ne me retrouvais plus dans ma propre existence. Une sorte d’angoisse terrible, contre laquelle je ne peux pas grand chose, sinon aller de l’avant pour tenter de la prendre de vitesse, comme j’ai toujours fait. Lorsque nous nous sommes rencontrés, vous aviez posé une condition : ne pas devenir la “quatrième”. J’ai tenu cet engagement : cela fait des mois que j’ai cessé de voir les “autres”, ne trouvant évidemment aucun moyen de les voir sans faire de vous l’une d’elles.
Je croyais que cela suffirait, je croyais que vous aimer et que votre amour suffiraient pour que l’angoisse qui me pousse toujours à aller voir ailleurs et m’empêche à jamais d’être tranquille et sans doute simplement heureux et “généreux” se calmerait à votre contact et dans la certitude que l’amour que vous me portez était le plus bénéfique pour moi, le plus bénéfique que j’ai jamais connu, vous le savez. J’ai cru que l’écriture serait un remède, mon “intranquillité” s’y dissolvant pour vous retrouver. Mais non. C’est même devenu encore pire, je ne peux même pas vous dire dans quel état je me sens en moi-même. Alors, cette semaine, j’ai commencé à rappeler les “autres”. Et je sais ce que cela veut dire pour moi et dans quel cycle cela va m’entraîner.
Je ne vous ai jamais menti et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer.
Il y avait une autre règle que vous aviez posée au début de notre histoire : le jour où nous cesserions d’être amants, me voir ne serait plus envisageable pour vous. Vous savez comme cette contrainte ne peut que me paraître désastreuse, injuste (alors que vous voyez toujours B., R., …) et compréhensible (évidemment) ; ainsi je ne pourrais jamais devenir votre ami.
Mais aujourd’hui, vous pouvez mesurer l’importance de ma décision au fait que je sois prêt à me plier à votre volonté, alors que ne plus vous voir ni vous parler ni saisir votre regard sur les choses et les êtres et votre douceur sur moi me manqueront infiniment.
Quoi qu’il arrive, sachez que je ne cesserai de vous aimer de cette manière qui fut la mienne dès que je vous ai connue et qui se prolongera en moi et, je le sais, ne mourra pas.
Mais aujourd’hui, ce serait la pire des mascarades que de maintenir une situation que vous savez aussi bien que moi devenue irrémédiable au regard même de cet amour que je vous porte et de celui que vous me portez et qui m’oblige encore à cette franchise envers vous, comme dernier gage de ce qui fut entre nous et restera unique.
J’aurais aimé que les choses tournent autrement.
Prenez soin de vous.
X »
Ne sachant pas quoi répondre, elle a demandé à 107 femmes d'interpréter ce courrier à leur manière, avec leur vécu et leur vision des choses.
Elle le dit elle même, l'art lui est thérapeutique. Il y a donc ici, le souhait de digérer cette étape de vie qui n'a certainement pas due être évidente. La vivre avec d'autres pour se sentir soutenue, aimée et accompagnée.
“Quand je vais mal, j’ai tendance à en parler à tout le monde. J’envisage l’art de la même façon : le premier geste est thérapeutique, puis l’oeuvre prend sa place et devient l’unique moteur” (Sophie Calle)
Mais si aujourd'hui nous vous parlons de Sophie Calle, c'est aussi parce que nous l'avons entendu ce matin sur France Inter. Durant l'émission, l'artiste a parlé d'un autre de ses projets dont nous n'avions pas connaissance. Il s'agit du « Rituel d'anniversaire », datant de 1980. C'est au cours de cette année que Sophie Calle angoisse à l'idée d'être seule pour son anniversaire et pire encore, qu'on l'oublie. Qu'importe...pour être certaine de ne pas vivre cet affront, Sophie Calle initie un rituel. Elle invitera chaque 9 octobre (date de son anniversaire), le même nombre de convives que son âge. Et pour laisser une trace de ces moments, elle gardera dans des vitrines tous les cadeaux offerts qu'elle exposera par la suite.
"Le jour de mon anniversaire je crains d’être oubliée. Dans le but de me délivrer de cette inquiétude, j’ai pris en 1980 la décision d’inviter tous les ans, le 9 octobre si possible, un nombre de convives équivalant à mon nombre d’années. Parmi eux, un inconnu que l’un des invités serait chargé de choisir. Je n’ai pas utilisé les cadeaux reçus à ces occasions. Je les ai conservés, afin de garder à portée de main les preuves d’affection qu’ils constituaient. En 1993, à l’âge de 40 ans, j’ai mis fin à ce rituel. "
Sophie Calle, Le rituel d’anniversaire, Livre II du recueil Doubles Jeux , Actes Sud, Paris, 1998, p. 11
Dans tous ses projets, Sophie Calle nous fait part de ses craintes, de ses douleurs et de ses joies. Elle révèle au grand jour ses émotions qui l'animent et qui finalement parlent à tout le monde. Et c'est pour cela que l'on aime son travail. En évoquant ses émotions, elle touche aussi celles de chaque spectateurs. Elle dévoile ce qui se cache, trop souvent, sous la pudeur.
Alors, un peu en avance, nous souhaitons un joyeux anniversaire à Sophie Calle.
Et on lui assure que non, on ne l'oubliera pas !
Sources images et textes:
http://fmr-id.com/2010/12/06/sophie-calle-prenez-soin-de-vous/
http://mamereetaithipster.com/2010/02/21/art-conceptuel-international-situationnisme-sophie-calle/
http://interface.art.free.fr/spip.php?article88
http://www.agendaculturel.fr/sophie-calle
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